Bien que parus, il y a cinq ans, ces Récits d’un officier pilote d’hélicoptère de combat, méritent quelques lignes. Non pas parce que l’ouvrage a reçu le prix spécial de la Saint-Cyrienne, en 2013 ni à cause d’une introduction élogieuse de Jean Guisnel et d’une quatrième édition, ni parce que comme l’indique l’éditeur dans sa note, il a « obtenu l’aval des autorités militaires, indispensable pour tout militaire d’active désireux de publier un ouvrage racontant ses combats ». Cette précision ne pouvant au contraire que faire hésiter le lecteur craignant le Livre d’or.
De ce point de vue, le texte est lisse de tout jugement mais résume ce que l’on nomme la spécificité militaire dont le point central est le combat au profit de la mission, la raison d’être première du soldat. Car soldat, le capitaine Erbland l’est dans un monde multipolaire devenu instable et violent avec son corollaire de la judiciarisation.
En douze chapitres thématiques, il s’appuie sur ses combats menés en Afghanistan puis en Libye en 2011 pour montrer comment est organisé le bataillon d’hélicoptères de combat de l’ALAT en vue du combat. Tout le reste en découle, qu’il décolle de l’aéroport international de Kaboul, d’une FOB ou d’un bâtiment de la Marine nationale, en Méditerranée. Au-delà de l’institution qu’est l’armée et du système d’armes, il décrit combien elle est un système d’hommes avec le poids de la hiérarchie qui peut se transformer dans l’exécution en « bulle de protection »[1], celui de la discipline, de l’« obéissance d’amitié » où l’adhésion l’emporte sur la contrainte sans oublier la fonction du chef.
L’auteur appartient à une communauté marquée par l’esprit de sacrifice, par la mort acceptée mais à condition de ne pas mourir sans motif, d’où ce qu’il est convenu d’appeler les « vertus militaires » : le patriotisme, « la défense des intérêts de la France, de ses valeurs morales et républicaines » mais surtout « ce lien entre les hommes, cette fraternité qui efface toutes les différences et fonde la solidité et la puissance des vertus qui animent chaque membre du groupe. »[2] Et s’exprime par un regard, par un « merci »[3]. Une communauté marquée par la mort donnée mais à condition d’en bien discerner les conditions et de savoir retenir le feu.
L’auteur fait partie de ces générations de saint-cyriens, héritières du large corpus de doctrine parachevé par le cadre juridique de la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires. Générations façonnées par l’enseignement diffusé au sein du centre de recherche des Écoles de Coëtquidan (CREC) par le pôle d’excellence éthique et de déontologie dirigé par le professeur Henri Hude. Or malgré la préparation psychologique, donner la mort « implique pour toute personne normalement constituée un choc émotionnel inévitable. »[4] Le capitaine Erbland s’y est préparé spirituellement et sa spiritualité a évolué depuis l’Afghanistan. Officier chrétien, il ne cache pas avoir fait sienne la phrase de l’Empereur Napoléon : « Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole » et avoir prié pour un adversaire qu’il avait tué[5]. Tout comme il a été rattrapé par le « phénomène d’identification ».
Avec simplicité, modestie du ton et profondeur de la réflexion, il définit l’âme du soldat faite des forces et des faiblesses de son état d’homme : « courage, grandeur d’âme, combativité mais aucun doute, peur de mourir et sacrifice personnel. »[6] Un sacrifice personnel auquel il associe sa femme qui « assume pleinement les servitudes de la vie militaire »[7].
Ce livre serait incomplet s’il ne mentionnait la présence des quelques femmes pilotes opérationnels dans l’ALAT qu’il qualifie « d’amazones des temps modernes » et qui participent aux combats comme leurs camarades masculins. Avec un avantage : leur plus faible poids permet d’emporter plus de kérosène dans la Gazelle ce qui allonge l’autonomie durant la mission[8].
A l’image du commandant Jean Michelin avec Jonquille[9], le chef de bataillon[10] Erbland « coche la case » « écriture » comme le recommande le CEMA, le général François Lecointre, à ses subalternes. Il est un soldat, il peut se disposer à être un chef.
Martine Cuttier
Brice Erbland, Dans les griffes du Tigre, Les Belles Lettres, Mémoires de Guerre, 2013, 4e édition 2016, 103 p. Lien éditeur
[1] Chapitre V. De la confiance, p 44.
[2] Chapitre XI. De l’homme et chapitre XII. De la fierté.
[3] Chapitre XII, Ibidem.
[4] Chapitre II. De la mort, p 17.
[5] Ibidem, pp 22-23.
[6] Chapitre XI, p 94.
[7] Remerciements, p 102.
[8] Chapitre VII. De la pugnacité, pp 66-67.
[9] Jean Michelin, Jonquille, Afghanistan, 2012, Gallimard, 2017. Recension pour La Vigie, 25 février 2018, ici
[10] Depuis la publication du livre, il a accédé au premier grade des officiers supérieurs.